Interview
Virgile Laguin, graphiste et membre de l’association Graphisme au Havre
En tant qu’étudiants, nous sommes curieux de connaître ton parcours. Peux-tu nous en parler ?
Je suis originaire du Havre et je suis parti étudier à Paris, j’ai suivi des études de publicité, un BTS action et publication, ensuite une licence de création et de marketing. À la suite, j’ai directement intégré une agence de publicité à Paris. C’était une bonne école, mais trop axée sur la vente. Le cadre s’avérait limité, car le système publicitaire ne peut pas s’abstraire de la sémiologie de l’image. J’ai vite senti que c’était sclérosant, que j’allais tourner en rond.
A ce moment-là, nous étions au début de la création graphique assistée par ordinateur, notamment avec QuarkXPress. Constamment, nous travaillions aussi avec des photocopieuses, on opérait des mix entre les deux. Finalement, j’ai décidé de devenir indépendant. Ayant fait quelques piges au Havre comme à Paris, j’étais entre les deux dans des entreprises en interne, ou dans des services de communication. En parallèle, je travaillais sur des projets personnels, puis j’ai postulé à l’université du Havre. J’ai été retenu. Depuis quinze ans, je m’occupe de la communication de l’Université, dont j’ai refait toute l’identité il y a trois ans, pour les vingt-cinq ans de l’établissement.
As-tu différentes pratiques artistiques ? Quelles sont-elles ?
Je me suis confronté à la peinture, à la sculpture, mais ces cinq dernières années, je n’ai pas souhaiter me disperser.
Sinon, j’ai beaucoup pratiqué la photo, notamment jusqu’à mes 30 ans, je m’y suis remis il y a huit ans. Cette pratique constituait une sorte d’« archivage » des éléments de ma vie, de souvenirs. Avec Une Saison Graphique, l’acte photographique me permet d’archiver des rencontres, des expositions ou des montages.
Depuis la première Saison Graphique, tu conçois l’affiche générique. Quelle est l’étendue de ton rôle au sein d’Une Saison Graphique ?
Nous sommes partis de pas grand chose et c’est toujours étonnant de mesurer le chemin parcouru. Au début, j’ai tout simplement conçu le logo. Étant le graphiste de l’université, l’une des entités actrices d’USG, il fallait que ce signe ait un aspect très simple. On voulait que l’identité reste discrète, Une Saison Graphique : une feuille, l’œil, la goutte d’encre. Une symbolique sans prétention, légère. J’ai fondé avec Mariina Bakic et Akané (Charlotte Cavé nous a rejoint en 2014 suite au départ de Akané Ward en 2014) et je suis membre de l’association Graphisme au Havre,dont les principales missions consistent à centraliser les informations, organiser les réunions pour trouver des subventions. Au départ, l’affiche générique se voulait établir un lien entre les différents évènements, elle n’existait qu’en 40-60 cm, pour intégrer les vitrines des commerçants. Il y a deux ans, elle a existé aussi en format Decaux, car il y avait des M.U.P.I disponibles. L’affiche de mai 2016 a été également imprimée en 240-320 cm, en plus des autres formats : Decaux et vitrines.
J’ai également un rôle de conseiller technique, notamment auprès des graphistes invités. Je fais la passerelle entre eux et le Lézard Graphique, où sont imprimés toutes les affiches Decaux en sérigraphie. J’envoie des fiches de prestations, que les graphistes doivent remplir pour les affiches (logos, nombre de couleur, etc…). Certains des graphistes sont habitués à la sérigraphie, mais pas tous ; là, je peux les aider, je vérifie les fichiers, les conseille, etc.
Je m’occupe aussi de la communication visuelle de l’évènement, et notamment les fameux journaux. USG s’adresse à un public large et beaucoup ne connaisse pas ce type de métier, notre métier. La diffusion des journaux permet de donner des clés pour comprendre les expositions et notre discipline. Quelques catalogues ont été conçu avec l’ESADHaR et j’ai participé à l’un (en 2014) en tant que graphiste pour les Éditions Franscicopolis. Par la suite, nous avons eu l’idée du journal, dont le concept est simple : partager et diffuser gratuitement les affiches des graphistes invités. Au recto de chaque du poster, un texte ou une interview explique le travail.
Dans le journal programme, on récapitule tous les éléments principaux et on retrouve l’affiche générique.
Je m’occupe de la maquette et de la réalisation de chaque journal, au final cela représente beaucoup d’échanges avec tous les participants (récolte des informations, corrections, etc…), c’est assez prenant, vu le nombre de partenaires. Ceci constitue ma tâche principale pour la Saison Graphique. On n’imagine pas tout le travail humain, de prises de contact qu’il nécessite.
Nous ne sommes pas si nombreux que cela, nous avons une bonne visibilité, mais nous restons une petite équipe de bénévoles; nous sommes donc obligés de redoubler d’efforts.
Par rapport à ton travail avec l’Université, considères-tu la Saison Graphique comme une continuation, ou plutôt une récréation ?
Je réponds à une commande, même si la marge de créativité n’est pas toujours la même.
Je ne mets pas de barrière entre les deux travaux, en fait, j’essaie de tout penser de façon précise et personnelle.
À l’université, en tant que graphiste interne, la situation peut être parfois plus difficile. Les relations client-graphiste diffèrent. Ils ont du mal à comprendre qu’une affiche demande du temps. Quand on est un peu maniaque, la difficulté est souvent de se faire comprendre. Parfois, on croit avoir bien expliqué et avoir été compris. La fois d’après, on doit recommencer. Une partie du travail de graphiste relève de la pédagogie et rien n’est jamais acquis, c’est de la lutte. Le graphiste a son rôle à jouer. À certains moments le graphiste se doit de forcer le commanditaire.
Affiche pour la bibliothèque universitaire pour une campagne pour le silence.
Quelle est la place de l’affiche générique dans USG ? comment te positionnes-tu face aux graphistes invités ?
L’affiche générique, au départ, était là pour faire connaître le logo. La conception était sage, je me mettais en retrait ; la manifestation n’était pas connue et l’affiche se voulait sobre. Au fur et à mesure, je me suis donné plus de liberté, la forme centrale devient une signature. Au début, il n’y avait que les cartons, pas d’affiche.
Je m’interdisais de représenter la mer : je fais du surf depuis trente ans, et au début, fin des années 1980, au Havre on nous prenait pour des malades. Maintenant, cette pratique est à la mode… Donc, pendant un temps, je préférais exploiter les formes abstraites de l’urbanisme.
La première affiche qui a cassé cette logique date d’il y a trois ans: il y a eu une tempête, et j’ai eu un flash. J’ai vu cette vague déchirer l’affiche. À chaque édition, la Saison Graphique demeure une manifestation fragile, nous sommes toujours en état de tempête. On s’active pour que tout marche entre plusieurs entités, et pour que tout ne s’effondre pas. J’avais cette idée d’une estampe d’Hokusai, mais je me suis dit que c’était trop évident. Puis, j’ai attendu un jour de grosse tempête, et j’ai pris des photos. Je voulais quelque chose d’électrique.
La pression est forte, l’affiche est un élément vitrine, vu le contexte je ne peux pas faire une affiche insipide. La stimulation en pensant aux autres affiches est très forte. J’ai toujours hâte de voir les affiches des invités, je suis souvent surpris. Parfois il faut du temps pour apprécier une affiche, l’apprécier après coup. Au fur et à mesure, notre jugement évolue.
Évidemment, l’identité doit rester visible, forte. Il faut que l’affiche interpelle. Je tiens aussi à montrer le caractère atypique de la ville. Puis, se pose la question : l’année suivante, que va-t-on faire ?
Justement, comment te renouvelles-tu à partir de la même matière ?
L’affiche de l’année suivante a été plus difficile, je ne voulais pas faire la même chose.
On a tous des pattes graphiques, j’aime bien modifier les systèmes et je n’avais pas fini avec la mer.
Avec l’exposition à La Forme (Galerie d’art au Havre en 2015 http://www.virgilelaguin.com/index.php?/affiches/exposition–la-forme/), j’ai pu imaginer et expérimenter un travail plus intimiste, avec la mer. J’avais besoin de travailler l’élément eau, et les falaises.
Cette année-là (2015), le visuel opérait un contrepied, un aspect apaisé. L’élément de l’eau peut être démonté ou à l’inverse totalement calme, avec un aspect assez étrange. J’ai réalisé beaucoup, beaucoup d’essais avec ces éléments d’eau et de falaises. Cette affiche, même si je l’aime bien, me semble moins forte que la précédente, peut être est-ce dû à une intégration plus heurtée de la lettre et la l’image.
J’aime l’idée qu’on puisse plonger dans l’image, le lecteur n’est pas obligé de tout comprendre. En tant que graphiste, on essaie de penser au maximum l’image et si le travail est de qualité, les gens s’en aperçoivent forcément, à un moment.
Cette année (2016), l’affiche de saison est à mettre en relation avec les affiches réalisées dans le cadre de l’université du Havre. C’est presque une affiche passerelle. On peut remarquer beaucoup d’éléments abstraits se mélangeant avec des photos; Pour l’université, pour la campagne d’inscription, j’ai intégré des photos des étudiants de l’université. Pour la campagne, « Silence » de la BU, je voulais des formes plus agressives, des rayures, des motifs psychédéliques qui « exploseraient » à la tête des gens, où le lecteur pourrait pressentir visuellement la perturbation qu’occasionne le bruit.
Ainsi pour l’affiche d’une Saison Graphique, je voulais retrouver un côté électrique, et réveiller les choses : un système en rayure. J’ai pensé pour la sérigraphie, pour que la trame du noir soit profonde, avec un orange électrique. La sérigraphie n’est pas forcément beaucoup plus chère qu’une impression offset et la différence de perception, de ressenti est considérable. La Saison Graphique m’a permis de saisir la réalité et l’intérêt de la sérigraphie. Nous travaillons avec le Lézard graphique depuis 2010 et ce grâce à l’initiative de Vincent Perrottet. Maintenant, dans mes travaux de commande, je pense la sérigraphie et je tiens à ce que mes affiches soient hautement travaillées, à tous les niveaux.
S’il y a une affiche des invités que tu aurais aimé faire, laquelle est-ce ?
Le polyptyque de Frédéric Teschner représente vraiment le Havre, avec la mer et des éléments d’architecture, mais avec sa vision, précise, singulière, ses trames. Cet ensemble n’était pas facile d’accès, il n’y a aucun glamour, mais avec le temps, je la trouve vraiment incroyable. Je vois toujours cette rampe où j’ai fait plein de photos, tout le monde a photographié cette rampe, mais lui, il l’a utilisée d’une façon toute particulière.
Qu’a pu t’apporter USG, au travers de son évolution, de ton expérience et de ton engagement dans ce projet?
Cette implication et ce travail m’ont apporté énormément et m’ont obligé à être encore plus exigeant dans mon travail. Certes, j’ai plus de visibilité qu’avant mais quand on reste au Havre, notre visibilité est relative. Nous avons initié cette manifestation par amour du graphisme. Au sein du collectif, les échanges sont très intéressants, à la fois chacun reste sur son domaine et des énergies se créent. Le design graphique est un territoire pauvre où beaucoup reste à déchiffrer, il y a un peu ce un côté pionnier et la Saison Graphique a mis une étincelle.
Interview réalisée par César Henry, diplômé de l’ESADHaR en 2015 et Soizic Bourhis, étudiante à l’ESADHaR en juin 2016.
Pour lui redonner une note actuelle, nous avons demandé à Virgile de nous parler de l’affiche de la saison 2017 :
L’affiche de 2017 joue sur la notion de regard. Elle l’inverse, la complexifie. Une affiche est faite pour être vue. Cette fois, c’est elle qui nous regarde de ses yeux divers et multiples. Qui regarde qui? L’affiche regarde le passant, qui regarde l’affiche. L’affiche se décline en deux formats et en deux couleurs. Pour la 3m20X2m40 j’ai opté pour une monochromie violette. Cette monochromie apporte de l’étrangeté à l’image. Nous avons une image apaisante qui peut évoquer une gravure. La 40X60cm quant à elle est imprimée en bichromie noir mat et orange vif brillant. L’orange permettra d’une part à l’affiche d’être davantage visible malgré son petit format. D’autre part, ces deux couleurs apportent un aspect de brûlure et renforce l’idée de déchirure du papier. S’instaure ainsi une dualité, dualité des formats, des teintes et des regards.
http://www.virgilelaguin.com