Olivier Lebrun
Le mardi 10 janvier 2017 à 10H30

Janvier 2017, Il a un site Internet, enfin presque, ce dernier n’est qu’un écran plat réduit à une page accueil qui n’a jamais connu de suites. Une fenêtre, capture Youtube ou espace simulacre, témoigne, peut-être, d’une attention aux livres et à la culture populaire. La pseudo-ouverture déplace les regards à bonne distance de la maîtrise (des objets, des sens, de la connaissance…) : difficile d’avoir une idée précise ou une vue d’ensemble de ses objets graphiques, ses « read »-« make ». On sait qu’il y a des livres, essentiellement, on devine que l’humour les corrode, les galvanise. On a pu le remarquer sans le voir à Rennes, puis à Lyon, lors de jurys et de présentation de (remarquables) travaux d’étudiants réalisés sous son encadrement.

Son parcours d’indépendant a commencé en 2010 par un acte auto-produit, un fait divers, un vol.

— Olivier Lebrun, Stolen Works of Art, auto publié, 2010

Puis il a organisé un « faux », un vrai catalogue déployant un espace ambigu de confrontations et d’évitements entre artisans et designers. Frontalement ou subrepticement, il parvient dans ses ouvrages à «questionner la pratique amateur».

— Olivier Lebrun et Cloe Floirat, 15x15x1x1x1, auto publié, 2010

http://www.blurb.fr/b/2002148-15-designers-15-artisans-1-graphiste-1-critique-1

«J’aime bien creuser les failles».

Un livre, ce pas grand-chose, cet espace-plis non spectaculaire, porte la déchirure comme activation virtuelle, comme fondement (dans son contenu et sa forme).

Avec un autre OL (le designer Olivier Lellouche, http://www.destihl.eu/), ils pistent (ils se retrouvent régulièrement) des modes de production déboussolés par une certaine éthique de la dérive. Ils composent en zigzag comme ce diaporama Ugo & Enzo, interrogeant la disparition du frère caché d’Enzo Mari…

De Stihl (Olivier Lebrun, Olivier Lellouche), Librairie, auto publié, 2010 – 2020

Parfois, le sérieux l’emporte. Ainsi The chair affair, un livre pastiche, un livre fantasme, un « clip de gare » érotique révélant les positions jouissives entre deux chaises.

https://www.printedmatter.org/catalog/42867/

— Lucas Maassen, Margriet Craens, The Chair Affair, Onomatopee, 2015

Régulièrement, il revient sur la réalité et la fragilité des contraintes et des relations économiques. Chaque projet invente sa logique économique et le graphiste tient à penser la diffusion, encore et toujours, d’autant plus qu’il reste souvent dans les stratégies de l’auto-édition. Car publier, c’est rendre public.

Féru, passionné, défenseur de l’ «Editing » (derrière ce mot, se concentrent de nombreuses tâches et missions), il nous impose (entre impressionner et revendiquer) Eigengrau (704 pages). Eigengrau, dont la signification du mot échappe à chaque fois qu’on le prononce, a été conçu avec d’autres complices – friands de larcins- : il s’agissait de créer, de rassembler, d’organiser, d’initier du contenu, mais aussi, toujours, de « parasiter ». L’ambition était de témoigner de la pratique éditoriale pour un graphiste comme d’un territoire complexe, multidisciplinaire. Alors que les archives papiers, numériques, s’amassent, nous engloutissent, « Editing » s’affirme comme acte décisif, un acte d’autorat. Les rangements, les ordonnancements dans des masses de documents hétéroclites creusent des chemins de pérégrination dans des réels qui s’emboîtent et disjonctent. En toile de fond d’Eigengrau, le roman de Julio Cortazar, Marelle, ce dernier permet d’établir des liens entre les séquences du livre et donne le prétexte à des ouvertures-compositions photographiques. Le catalogue n’est pas la restitution des expositions du festival en cours, il invente un espace d’expositions autre, il devient une extension de la réflexion scénographique avec l’invitation de graphistes, d’artistes et la création d’œuvres originales.

Eigengrau, sous un certain angle, fut la mise à mort du « traditionnel » catalogue de Chaumont, qui archivait les affiches du festival, consignait en condensé les expositions.

EIgengrau se pensait comme un pavé dans la mare, il n’a pas éclaboussé, faute de diffusion. Mais il reste. A lire.

L’invité l’a donné à la bibliothèque de l’école.

— Alex Balgiu, Thierry Chancogne, Etienne Hervy, Olivier Lebrun, Eigengrau, Chaumont Design Graphique, 2014

Et, étrangement, le conférencier explique de quelle manière, il se méfie des livres sur le livre, il a souvent cherché à fuir le « livre pour graphistes».

Dans ce questionnement, émerge un livre, un kidnapping des Simpsons, une compilation sérieuse et caustique, une « simple volonté de m’exercer ».

Le livre est édité chez Rollo Press à Zürich (à cette occasion, il rencontre Urs Lehni), il sera réédité dans une deuxième édition (différente) et connaîtra une diffusion internationale.

— Olivier Lebrun, Urs Lehni, Camille Pageard, Intrus Sympathiques, Bernard Chadebec, Rollo Press N°45, 2016

Pour la monographie de l’architecte, Jacques Ferrier dont il connaît bien, en tant que graphiste, l’œuvre, il s’applique à déjouer les habituels effets packaging de l’éditeur Thames and Hudson. Il se réfère à ce sujet au texte éclairant de James Goggin, the Matta-Clark Complex http://indexgrafik.fr/the-matta-clark-complex-james-goggin/. Il défend un livre «presque classique relatant les parcours architecturaux de l’agence, avec une tranche grecquée qui donne une sensation de matière, tout en étant produite de façon industrielle».

— Alexander Tzonis, Kenneth Powell, The Architecture of Jacques Ferrier, Thames & Hudson, 2016

Si de ses années dans l’atelier de Frédéric Teschner (2006-2010), il est particulièrement fier et redevable, il se souvient avoir garder cette paradoxale injonction « sois auteur ».

« Je ne produis pas de formes visuelles, je suis auteur à travers ma manière d’agencer des formes de livres, par ma façon de m’intéresser à des sujets que je peux transformer en objets ».

Un dernier « objet » : un projet symptomatique, révélateur.

Tout part d’un indice, une anecdote, un autocollant vu avec Urs Lehni lors d’une exposition à l’usine Tisza (ancienne usine de textile) lors d’un festival de Chaumont, une version sticker d’une affiche pour la sécurité dans les usines (donc un vestige de l’ancienne fonction du lieu).

Un travail d’enquête se met en place. L’auteur de l’affiche est retrouvé, interviewé. Ses créations, rassemblées, scrutées.

Les rencontres, dans un contexte pédagogique (avec Urs Lehni enseignant et quelques étudiants) se concrétiseront par la réalisation d’un ouvrage monographique sur l’affichiste Bernard Chadebec. L’ouvrage ose des jeux de confrontations abstraites, où la réalité du travail en usine disparaît derrière la maitrise formelle, pleine d’humour de l’affichiste. Le livre offre la possibilité de déplier les affiches et à nouveau de les disperser. L’affichiste des ouvriers dont la production se chiffre en milliers d’exemplaires a ainsi son travail archivé, tout en restant dans une logique de diffusion libre. (http://www.rollo-press.com/#intrus-sympathiques

— Olivier Lebrun, Urs Lehni, Camille Pageard, Intrus Sympathiques, Bernard Chadebec, Rollo Press N°45, 2016 (texte de présensation : Camille Pageard).

D’autres livres, d’autres aventures ont été évoquées (notamment des performances lectures avec Alex Balgiu).

Alex Balgiu, Olivier Lebrun, Bibliomania, 2015 – 2017

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La conférence n’a pas été enregistrée.

Ainsi, il, Olivier Lebrun, graphiste, enseignant de l’école des beaux arts de Lyon, reste un (auteur) clandestin.

Comment fixer, sans rien fixer ?

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Ce texte, succinct et elliptique, permet d’accompagner ces deux planches qui composaient en toile de fond sa conférence, l’une guidée par une main bien trop imposante et la seconde par une main un os trop squelettique…

(En italique, des propos extraits de sa conférence).

 

Nous le remercions de sa conférence.

 

Liens :

http://www.olivierlebrun.fr/

http://laab.fr/dsaa/?p=2256

 

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Affiches réalisées par des étudiant.e.s en 5ème année (dans l’ordre d’apparition : Tara Keogh,  Marion Bonjour, Pierrick Romero).

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