Occur Books
Frédéric Tacer

Enseignants – Commissaires : Yann Owens et Vanina Pinter

 

Suite à une conférence donnée par Frédéric Tacer en décembre 2013 à l’ESADHaR, les membres d’E.D.G.A.R décidèrent d’inviter le graphiste à explorer des facettes sous-jacentes à son travail pour l’édition 2015 d’Une Saison Graphique (cf. Frédéric Tacer, invité d’Une Saison Graphique 15, texte de Vanina Pinter sur le site de l’association Graphisme au Havre).

Grâce à Pangramme, le graphiste peut prendre conscience du fonctionnement de l’école. Octobre 2014, les grandes lignes de son projet Occur Books (cf. mail ci-dessous) sont esquissées et Frédéric Tacer va patiemment le mettre en place, réunissant une documentation conséquente qui est à la base de son travail et des réflexions pour chacune de ses couvertures de livres.

De : Frédéric Tacer
À : Yann Owens, Vanina Pinter

Comme je crois l’avoir évoqué au moment de ma conférence, je suis un passionné de science-fiction et de livres plus généralement. Cela fait longtemps que l’envie de confronter ces deux passions me trotte dans la tête. Le cadre d’Une Saison Graphique semble donc être une parfaite occasion.

Ma réflexion part du constat de la supposée mort du livre. À l’ère du numérique, il est en effet fréquent de voir questionné l’avenir du livre en impliquant son inexorable – et prétendument proche – disparition (en tout cas sous sa forme imprimée). Je trouve ce débat assez futile et je dois avouer être fatigué de cette dichotomie physique/numérique très caricaturale que l’on nous ressort à tout-va. Qui plus est, les commentateurs ont tendance à opposer trop rapidement ces deux univers. Hors, ceux-ci ne sont pas incompatibles (comme en atteste par exemple le projet des Éditions Volumiques d’Étienne Mineur).

Certes, le numérique apporte des évolutions avec lesquelles le livre ne peut pas rivaliser (bibliothèque illimitée et instantanée, texte dynamique, interaction, etc.). Mais à l’inverse, aucun smartphone, aucune tablette et autre liseuse numérique ne nous offrira la satisfaction de dénicher une petite perle chez un bouquiniste, le simple plaisir d’un subtil jeu de papier, de l’odeur d’un livre ancien ou d’une reliure qui craque.

Soyons d’accords, il ne s’agit pas d’un postulat conservateur. En tant qu’enfant d’Internet je consomme moi-même énormément d’information numérique. J’aime seulement à penser que ce sont deux univers qui peuvent naturellement coexister (voire s’enrichir réciproquement) et que l’avènement de l’un ne signifie pas nécessairement la mort de l’autre. Cela m’évoque un chapitre de Notre-Dame de Paris titré « Ceci tuera cela » dans lequel Victor Hugo développe une sorte de théorie du progrès questionnant entre autres le rôle de l’église dans la société médiévale et les modes de transmission du savoir que la presse de Gutemberg va alors révolutionner. Le personnage de Frollo y affirme sans équivoque la mort proche de l’architecture avec l’apparition de l’imprimerie: « Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. »

Hors notre recul est maintenant suffisant pour constater que ces inquiétudes étaient vaines. Si elle a peut-être participer à la faire évoluer, l’imprimerie n’a en rien signer l’arrêt de mort de l’architecture. Il est néanmoins amusant de comparer cette réflexion à nos préoccupations propres, puis de relativiser ces dernières. Il est évident que chaque innovation technologique apporte son lot d’incertitudes. Mais l’alarmisme ambiant (auquel je m’étais d’ailleurs déjà confronté dans mon mémoire de fin d’étude sur la musique à l’ère du numérique) me fatigue. On veut nous faire croire à la mort inéluctable du papier mais je suis persuadé que celui-ci a encore de beaux jours devant lui.

Ainsi, j’aimerais dans le cadre de ce projet non pas parler du futur du livre mais du (des) livre(s) du futur (et c’est là que la science-fiction intervient :-). Bref, une manière de dénoncer la futilité de ce débat en « prouvant » que les livres existeront dans l’avenir. C’est d’ailleurs l’une des principales caractéristiques de la science-fiction (en tout cas de celle que j’affectionne) : cette capacité à parler d’une problématique contemporaine en la projetant dans le temps.

Mon projet se décompose pour l’instant en deux parties distinctes :

1. Books of the future

La première serait une vidéo regroupant toutes les occurrences que j’ai pu trouver de livres ou de journaux papier dans des œuvres de fiction (principalement des films) prenant place dans un futur plus ou moins proche (de Retour vers le Futur à Blade Runner en passant par Farenheit 451 ou Futurama…).

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2. Occur Books

La seconde (mais principale) consiste en la création d’une maison d’édition fictive.

« Occur Books est une maison d’édition indépendante fondée en 2084 dont le catalogue couvre des sujets variés (science, technologie, histoire, sciences humaines, art, etc.). Cette exposition se veut être une pré-retrospective de mon travail de direction artistique pour Occur Books. De la conception de l’identité visuelle au design des collections. »

Outre la présentation de supports de communication variés (papeterie ? marques-page ? affiches ?) la majeure partie de l’exposition consistera en une série de couvertures de livres fictifs aux sujets variés. Une manière d’assouvir ma soif de science-fiction en abordant des thématiques propres à cette littérature mais en les considérant comme les réalités de demain. Bref, tenter de raconter une histoire et de faire voyager l’esprit du spectateur avec une simple couverture de livre.

J’ai déjà plusieurs idées sur les thématiques que je souhaiterais aborder mais j’imaginais qu’il pourrait également être intéressant d’organiser un workshop / brainstorming créatif avec des étudiants de Sciences Po (Science [Fiction] Politique) pour avoir leur vision du futur et les décliner en couverture.

D’un point de vue technique, l’utilisation de l’atelier de sérigraphie pour produire ces couvertures serait idéal (surtout du point de vue du budget). D’autant plus que j’imagine quelque chose de relativement simple graphiquement (2-3 couleurs maximum par couverture). Cela dit j’aimerais tout de même produire une cinquantaine de faux ouvrages ce qui représente tout de même du temps et du travail. Est-ce que cela resterait gérable ?

J’ai également déjà des idées (qu’il faudrait encore que je développe) en ce qui concerne la scénographie. Je pourrais également tirer partie de l’atelier bois je pense.

Bien sûr, tout cela reste encore à préciser.

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Voilà mon projet dans les grandes lignes. Je serais ravi d’avoir votre avis là-dessus, puis éventuellement de se voir pour parler plus en détail de sa mise en œuvre. Je me rend compte que les choses vont arriver très vite. Il ne va donc pas falloir que je chôme !

Bonne fin de week-end à tous les deux,
Frédéric

En tout, il concevra pour mai 2015 quarante couvertures, toutes sans réalité (il n’y a aucun contenu) et toutes réalisées au sein de l’atelier de sérigraphie de Yann Owens. Pour chaque couverture finalisée, Frédéric Tacer effectue de nombreux essais et recherches de compositions. Leur faisabilité en sérigraphie donne lieu à des échanges avec le sérigraphe Yann Owens. Différents tests ont été effectués pour parvenir à l’adéquation du sens et de la forme de chacun des thèmes sous-jacents aux couvertures.

Frédéric Tacer - Occur Books - ESADHaR - Une Saison Graphique 2015 - Franciscopolis

Au final, quarante couvertures éditées à vingt-cinq exemplaires dont vingt seront consignées dans des boites éditées par la maison d’édition Franciscopolis.

Frédéric Tacer - Occur Books - ESADHaR - Une Saison Graphique 2015 - Franciscopolis - Photographie Nicolas Cosson

L’idée de l’exposition pour Frédéric Tacer était de questionner la matérialité du livre dans le futur (cf. texte intégré à la boite : 2084 ou la pensée livre à télécharger) ainsi que de questionner science-fiction et graphisme via des faits réels, des inventions technologiques, des articles de journaux. (L’interview, figurant au dos de la feuille journal présente dans chaque exposition d’Une Saison Graphique a été réalisé par un groupe d’étudiants à télécharger.)

Frédéric Tacer - Occur Books - ESADHaR - Une Saison Graphique 2015

La scénographie est pensée minutieusement, sans rien de superflu (cf. plan de projection de Frédéric Tacer à télécharger). Au fil des mois, il a été important de réaliser une salle rouge, qui permette d’avoir accès à une partie de la documentation activée et rangée par Frédéric Tacer. Le dispositif est pensé en apesanteur, les couvertures flottent, particulièrement tactiles et chatoyantes. Un système de boitiers a été mis en place spécifiquement par l’atelier bois.

Frédéric Tacer - Occur Books - ESADHaR - Une Saison Graphique 2015

Un montage de film rassemblant des extraits des films de science-fiction où le livre est mentionné est présenté (avec la contribution de Valentin Daniel, étudiant en 4e année).

Dès octobre, Frédéric Tacer et Yann Owens conduisent un workshop intitulé « Science-friction » mêlant des étudiants de Sciences Po (site Le Havre) des étudiants d’art et de design graphique et des étudiants du master de création littéraire. En petits groupes, les étudiants imaginent un projet développant une idée, une utopie ou une dystopie, un fait lié à la science-fiction dans différences matérialités et supports (numérique, plastique, textuel). L’ensemble des projets, ainsi qu’une performance et une lecture, ont été exposés le soir du vernissage d’Occur Books (cf. feuille de salle des différents projets mis en page par César Henry).

Frédéric Tacer - Workshop Science Friction - ESADHaR 2015 - Une Saison Graphique

Dès l’exposition, il était prévu que celle-ci se poursuive via la création d’un site internet, qui rassemblerait les différentes couvertures et surtout qui permettrait la création de nouvelles.
L’itinérance de l’exposition de Frédéric Tacer est prévue jusqu’en 2084…

www.occurbooks.com

Étudiants parcipants :
Anouk Berthelot, Marion Caron, Marjorie Ober, Camille Trimardeau, Kevin Tessier, ainsi que Valentin Daniel pour sa contribution décisive.